« Peuple de l’Equinox, toi qui as placé ta confiance en notre compagnie… peut être que tu l’as fait un peu trop vite. »

Hyldar, Murmure de l’Automne

 

Je me saisis maladroitement de ma plume, l’alcool et le froid affaiblissant encore mon corps, afin de vous narrer mes aventures aux côtés de Kal Dogan lors d’une mission qui se voulait diplomatique. Ce récit ne figurera pas aux côtés des glorieuses chroniques de la Confrérie, mais il a le mérite d’exister…

Les prémices de cette histoire débutent en fait plusieurs jours avant notre départ, lorsqu’une pirate avinée décida de m’offrir un pendentif symbolisant mon animal totem, la tortue, afin de marquer la Nouvelle Année. La Confrérie avait déjà eu affaire à cette pirate, nommée Tuvi, lors de la dernière expédition, aussi ne me méfiais-je pas d’un cadeau qui me semblait innocent. Mal m’en pris…

Ce voyage avait pour enjeu principal d’assurer nos bonnes relations diplomatiques avec le Pacte de Sang. J’avais choisi pour l’occasion un garde du corps des plus téméraire, en la personne de Kal Dogan. Pour être tout à fait honnête, il était surtout le seul disponible au moment du départ… Mais qu’importe, la présence de ce coureur de jupons devait me rassurer lors de cette aventure chaotique.  Nous nous rendîmes donc ensemble au Havre du Lotus, afin d’embarquer au plus vite. La saison froide retenant au Sud le capitaine Relizzle, notre contact habituel, nous dûmes nous rabattre sur un autre navire. Le seul disponible s’avéra être une grande caravelle, au joyeux équipage. Amateurs de danse, de rhum et de chansons paillardes, les marins du navire chassaient le froid comme ils pouvaient. L’énorme perroquet rouge qui volait entre les cordages ne semblait pas être atteint par la morsure de l’hiver. Après des négociations assez rapides, nous embarquâmes avec notre matériel, pressés de rejoindre le continent.

La première partie du voyage se déroula admirablement. La seconde partie du voyage fut une autre paire de manches. Pour notre plus grand malheur et à notre plus grande horreur, nous découvrîmes avec la plus totale stupéfaction que nous avions embarqué sur un navire pirate. Et nous avions payé pour ça ! L’équipage sachant que nous sachions, les pirates décidèrent de nous occire séance tenante. Forcés de fuir, nous nous réfugiâmes dans la cuisine du navire, où nous nous barricadâmes. Alors qu’un funeste destin planait sur nous, je sentis pulser contre ma poitrine le médaillon. Il semblait se repaître de nos malheurs, et luisait d’une sombre lueur verdâtre. Et impossible de l’ôter ! Alors que je me débâtais avec l’artefact maudit, nous entendîmes dans la cuisine un couinement porcin. Nous découvrîmes alors, dissimulé dans un coin, un petit porcelet craintif. Unis dans le malheur, Kal et moi-même décidâmes d’en faire un ami, et le baptisâmes sobrement « Marcel ».

Faute de mieux, et afin de reprendre des forces, nous dévorâmes une bonne partie du contenu de la cuisine, avant d’envisager un plan d’évasion. Nous remarquâmes alors un ancien sabord dans un mur de la cuisine, bien qu’étroit. Me délestant de mon équipement, je tentais de m’y glisser afin de sauter à l’eau. L’objectif ensuite serait ensuite de dérober une barque de secours. Après maintes contorsions, je tombais sans aucune grâce dans l’eau glacée. Et là, alors que je nageais prudemment contre la coque du navire, je fis face au plus repoussant requin des océans ! D’un blanc laiteux, son œil gauche était crevé par une jambe de bois, alors que des coquillages verdâtres encroutaient sa peau. N’écoutant que mon courage, bien que ne sachant pas s’il m’avait vu à cause de son œil crevé, je m’engageais dans une lutte terrible. A bout de force, je parvins finalement à lui planter dans le second œil la seule arme qui me restait, mon pendentif du Pacte de Sang ! Le requin s’éloigna rapidement, fou de douleur. La légende du requin albinos aveugle à la jambe de bois et au pendentif crochu était née.

Escaladant avec difficulté le flanc du navire, je m’attaquais rapidement aux nœuds qui retenaient une petite barcasse, l’attention des pirates étant entièrement tournée vers la porte de la cuisine, d’où provenaient des insultes colorées de Kal. Je fis descendre aussi rapidement et silencieusement que possible la barque, les bruits de mon larcin étant couverts par les impressionnants coups de bélier que produisaient les pirates, bien décidés à enfoncer la porte. Enfin dans la barque, je manœuvrais pour m’approcher du sabord de la cuisine. J’avisais dans un cri ma présence à Kal, qui commença à balancer par la petite ouverture son propre équipement, rapidement suivi d’un Marcel tout couinant, de plusieurs chapelets de saucisses et d’un sac de légumes. Retentit alors un grand craquement, et Kal eut tout juste le temps de se jeter à son tour à l’eau avant que les pirates n’investissent la cuisine. Souquant ferme pour nous éloigner du navire, je remarquais alors une puissante fumée qui provenait de la cuisine. Kal en avait profité pour créer un incendie, en boutant le feu à de l’huile de friture. Malheureusement, mon équipement était resté à bord, et c’est nu comme un ver que je ramais en direction de ce que j’espérais être la terre…

Les jours passèrent, et bien que les légumes furent juteux, l’eau commença à manquer. Délirant à moitié à cause d’une insolation, Kal commença à secouer Marcel pour lui demander à boire (comme si tous les Marcels étaient des taverniers…) C’est alors que nous remarquâmes de petites tétines sous le ventre de Marcel, qui s’avéra être… une fille. Pour faire bref, disons que Marcel-e nous sauva la vie…

Au bout du quatrième jour, nous eûmes la joie d’apercevoir la terre ! Alors que nous débarquions, nous aperçûmes dans un champ proche un berger et des moutons. Bien que la honte m’assaille à présent, j’avoue que sur le moment nous échangeâmes sans état d’âme Marcel-e contre une outre de vinasse, et des vêtements qui sentaient le mouton… Ô cruelle réalité.

Alors que nous quittions Marcel-e et le berger qui affichait un drôle de regard lorsqu’il contemplait la truie, nous nous engageâmes sur une grande route, pour ce que nous pensions être le Nord. Après quelques péripéties, de nombreuses trombes d’eau, de la nourriture froide et de la boue, nous finîmes par atteindre notre destination, Bogenwald. Charmant petit village, avec sa place du marché, son gibet et sa maison close, il offrait surtout l’avantage d’être proche d’un campement semi-permanent choisi par le Pacte pour tenir des conseils restreints. Malheureusement, les auberges étaient déjà pleines. Alors que je m’attendais devoir dormir à la belle étoile, Kal m’avisa qu’il venait de nous dégoter des chambres dans la maison close, qui, « de toute manière, aurait fini par recevoir notre visite, alors autant anticiper. » La salle commune de l’établissement était déjà occupée par un groupe bruyant de jeunes Blood Eagles, certaines têtes nous étant familières. Toute à leur joie de nous apercevoir, ils nous apprirent, à notre plus grande déconfiture, que de violentes tempêtes dans la région avaient empêché de nombreux groupes d’atteindre Bogenwald.  Aussi, la réunion avait été repoussée de plusieurs mois. Edifiant.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur (bien que mon amulette maudite pulsait comme jamais contre ma poitrine), nous décidâmes de rester quelques jours, afin de partager quelques bons moments avec les émissaires déjà sur place. Et nous ne fûmes pas déçus. Nos maigres possessions installées près de nos couches à l’étage de la maison closes, nous nous rendîmes ensuite au campement proche de Bogenwald. Là, dans le hall principal, la fête battait déjà son plein. Nous y découvrîmes la moitié des émissaires ivres morts, ce qui devait nous donner un bon aperçu du reste de notre séjour. Nous eûmes la joie de retrouver Freya des Bracar Keltoi, qui, en guise de salutations, nous aspergea copieusement de sang. Ma vision restera trouble et légèrement teintée de rouge pour les jours à venir. Afin de ne pas nous laisser distancer, Kal offrit à l’assemblée plusieurs bouteilles d’alcool, achetées directement à Bogenwald, et la suite de la soirée fut une joyeuse beuverie…

Les éléments qui vont suivre ne suivent peut-être pas une chronologie exacte, mais je vais tâcher de mettre en lumière les événements les plus intéressants, culturellement parlant bien sûr. Premièrement, il faut savoir que les Blood Eagles boivent souvent. Rarement du bon alcool, mais souvent. Et ils partagent. Souvent. Autant dire que chacun de nos réveils embrumés, lorsque nous descendions piteusement de l’étage des plaisirs pour la salle commune et son âtre chaleureux, s’accompagnait immanquablement d’une bonne rasade d’une liqueur quelconque. Si nos journées étaient calmes, propices aux discussions et à l’exploration des alentours, les soirées se révélaient autrement plus mouvementées.

Ainsi, Kal présenta un soir à une assemblée déjà bien réchauffée un jeu qu’il qualifia de « typique et authentique ». Il s’agissait en réalité d’un de ses nombreux stratagèmes pour attirer dans ses filets une ou plusieurs victimes plus ou moins consentantes… Le jeu s’appelait « Finger Clozes » (la graphie exacte étant sujette à discussion). Le principe était simple : après avoir désigné une victime, Kal lui expliquait brièvement les règles. En touchant de son propre index le bout de l’index de son adversaire, ce dernier devait rester nu pendant deux heures, à l’exception d’un tout petit vêtement, et ce à l’unique condition qu’il reste près du feu. Si une envie pressante devait saisir la victime, il devait jeter sa dernière protection pour aller se soulager ! Si le doigt ne touchait pas exactement le bout du doigt adverse, mais le dessus, seul les habits supérieurs devaient être ôtés. A contrario, si le dessous du doigt était touché, seuls les habits inférieurs disparaissaient pour deux heures. Bien sûr, la démonstration du jeu étant déjà effective, la victime désignée perdait de facto !

Afin de valider les résultats, Kal me désigna d’office comme juge impartial… C’était sans compter l’esprit joueur de plusieurs convives, qui me piégèrent à leur tour avec des règles toutes aussi saugrenues… En effet, si la victime parvenait à rester nue deux heures, les membres de l’Equinox présents devaient faire amende honorable en restant nus à leur tour une heure complète, mais uniquement si l’ancienne victime décidait de rester nue une troisième heure ! En étant impliqué de la sorte, je perdais rapidement mon statut de juge… Au profit d’une certaine Yuna, membre des Blood Eagles. Lorsque plusieurs victimes tombèrent dans le piège pas si subtil de Kal, ce dernier annonça à la cantonade que les perdants devraient passer à la casserole le lendemain. Le reste de la soirée fut à nouveau une aimable beuverie.

Au petit matin, à mon réveil, je me décidais enfin à procéder à des ablutions complètes, ne pouvant plus supporter l’odeur de fumée ambiante… Bravant le froid, je me rendis dans un petit bâtiment où m’attendaient des bassines d’eau glacée. Jurant abondamment, je passais près d’une demie heure à ôter le sang incrusté dans ma peau, maudissant l’hiver et l’absence de feu. Ce n’est qu’à mon retour, frigorifié, près de l’âtre central de l’auberge, que Kal m’avisa que des établissements thermaux avaient été installés dans le campement voisin.

La journée fut plaisante, passée essentiellement au coin du feu, à boire, manger et discuter. Fondamentalement, la soirée qui devait suivre ne changeait rien à ce programme, à l’exception de la quantité d’alcool ingurgitée et des dérives en résultant. Alors que le soleil déclinait, nous nous rendîmes au campement. Apercevant sans doute une accorte jeune femme, Kal me laissa en plan « pour aller prendre un bain chaud. » J’en profitais pour me mêler à un groupe qui pratiquait un jeu d’adresse avec des quilles en bois. Rapidement intégré à la partie, je me retrouvais à tenter d’abattre des blocs de bois d’une équipe adverse, tout en dégustant un délicieux hydromel. Quelle belle manière de se mettre en jambe pour une soirée qui promettait d’être mouvementée…

Et mouvementée elle fut, puisque dès le retour de Kal dans le hall de fête, la moitié des perdants de la veille étaient déjà en train de lancer leurs habits un peu partout, le jeune Verte-Peau en tête. Très (trop ?) enthousiaste, il gratifia l’assemblée médusée de danses dans le plus simple appareil. Mais l’alcool aidant, l’ambiance fut de plus en plus joyeuse et débridée, jusqu’au moment où Kal annonça la seconde partie des règles du « Finger Clozes » : toute personne présente pouvait tenter de voler subtilement le dernier habit des victimes, pour ajouter une heure à leur peine ! A peine eut-il fini ses explications qu’une peau d’écureuil volait par-dessus le feu, sous les applaudissements, et les cris de désespoir du perdant…

Les choses se corsèrent lorsque Kal et moi-même durent nous dévêtir à notre tour, les deux heures étant écoulées… Inutile de dire que notre niveau d’alcoolémie monta en flèche peu de temps après ! A peu près au même moment, Yuna, bien que juge, perdait à son tour ce jeu ma foi fort subtile… Nous découvrîmes ensuite une étrange pratique des Wuwultschuk, qui consistait à claquer des mains et à lécher la joue gauche de son interlocuteur « pour répandre le bonheur », m’expliqua-t-on ensuite. Saisissant.

La soirée avançant, nous découvrîmes une autre pratique des peuplades du Nord, la maison de chaleur. Nul contenu charnel ici (encore que…), mais bien l’usage d’une petite maison calfeutrée, avec un fourneau à l’intérieur. En lançant de l’eau aromatisée dessus, les occupants, nus de préférence, subissent alors une suée des plus saine. Inutile d’expliquer que pour nous y rendre, les règles du « Finger Clozes » l’obligeant, nous dûmes déambuler nu au milieu du campement, de nuit, par des températures glaciales… Aaaah, le Nord… Par chance, outre le fourneau, une grande bouteille d’alcool nous attendait dans la petite maison de chaleur, et c’est en chantant et dansant que nous passâmes une demi-heure bien agréable. Kal eut toutefois la bonne idée de se brûler le mollet sur le fourneau, son enthousiasme étant un peu trop débordant…

Peut-être afin d’atténuer la douleur, Kal se noya dans l’alcool le reste de la soirée, confessant à d’autres fêtards nombre de ses aventures avec la gente féminine. Il tenta également de rapprocher un marchand nordique et une accorte jeune femme, qui s’avérèrent être un couple marié et heureux. Mais ça, Drunk Dogan l’ignorait sur le moment… Avant de me retirer dans nos quartiers, et souhaitant encore profiter un peu du calme de l’âtre de l’auberge avant de me coucher, je passais vingt bonnes minutes à aider Kal à retrouver ses vêtements, sa botte gauche nous donnant particulièrement du fil à retordre. Nous apprendrons également quelques jours plus tard que Kal en avait profité pour s’habiller d’une ceinture qui ne lui appartenait pas…

Je passais ensuite une nuit à cuver mon alcool, m’endormant bien avant le retour de mon comparse. Inutile de préciser que le réveil le lendemain, date choisie pour notre départ, s’avéra être des plus pénibles. La nuit glaciale n’avait pas aidé, et, malgré les couvertures et l’alcool, un froid résiduel gelait nos os. Empaquetant avec difficulté notre matériel, bien que ne possédant quasi rien pour ma part, nous finîmes par faire nos adieux aux autres dignitaires présents, qui affichaient eux-aussi des têtes de déterrés. Nous eûmes alors la surprise de découvrir que Yuna avait été touchée par notre histoire avec Marcel-e, et la guerrière des Blood Eagles nous jura se mettre en quête pour libérer l’infortunée truie des mains du berger lubrique. Ou, à défaut, nous rapporter un petit bout de Marcel-e… Glorieuse mission que voici !

Et c’est le cœur réchauffé par un séjour ma foi fort sympathique que Kal et moi-même nous mîmes en route, impatients de retrouver Cliabhan. Rejoignant un petit port commercial, nous finîmes par dénicher un navire, qui, sans être aussi dangereux que celui des pirates de l’aller, s’avéra être des plus lents… Après plusieurs péripéties inhérentes à tout bon voyage (nourriture exécrable, marins exécrables, météo exécrable…), nous parvînmes enfin au Havre du Lotus… Notre mission diplomatique, bien qu’avortée, nous avait quand même permis de renouer des liens forts avec plusieurs membres du Pacte. Kal parlait déjà de repartir à l’aventure, ses jambes ne tenant pas en place. Les charmes redoutables de plusieurs créatures féminines rencontrées y étaient sans doute pour quelque chose…

 

Je marche dans une vieille forêt, un chant murmure à travers les arbres. Je n’en comprends pas les paroles… Les montagnes proches, les couleurs connues –étrange. C’est une contrée inconnue. Cherche l’été, le lieu où l’arc-en-ciel touche la terre, couvre les yeux, vois ! paysages beaux, fabuleux… Où sont les frères les sœurs, quand je suis si seule ici, entre des murs vides ? Je cherche en une crête de montagne où vit le vent…

Je trouve !